Ciel et Terre
sur Chaodisiaque au format
Le maître du vent. Je m'appelle Ciel Noir. Je ne suis qu'un homme. Le sang qui coule dans mes veines n'est pas celui des dieux, ni celui des dragons, il me permet juste d'animer ce corps, de pousser cette charrue qui creuse son sillon pour m'offrir de quoi me faire vivre, de parler, et parfois, faire naître un sourire sur le visage de ma femme. Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues ...Contient : et de (71)(...) Ce village est petit, si petit qu'il ne porte pas de nom, à peine une centaine de paysans l'animent, survivant avec moi, leurs âmes revêtues des chairs marquées par les éléments et le temps, couverts de haillons de cuiret detissus misérables. Un village perdu au milieu de cette terre que j'ai vue creusée par mon père avant moi et que mon fils creusera sous mes yeux et bien après. (...)
D'autres choses moins étranges remontent aussi à la surface de la terre : arbres, pommes de terre, salades et légumes, elle nous offre ce qui nous appartient de droit et ce que nous nous devons de partageret dedonner pour continuer à vivre. Certains dans ce village ne cultivent pas ces terres, ils y élèvent celles des bêtes qui ne sont pas trop féroces. (...)
Chaque année, après le jour le plus long de l'été, un Héraut du Seigneur des Hauts Vents nous visite, revêtu d'acier et armé de jade, porteur d'exigences, d'étrangetéet depouvoir. Chaque homme lui sacrifie une bête, et une part de sa récolte. Homme, bête et fourrage partent alors vers le trône du ciel. (...)
Ce qui allait dire que l'un d'entre nous allait devoir sacrifier un membre de sa famille juste pour donner une chance au reste du village de vivre. Le visage d'Aube Griseet deBrin d'Herbe danse dans mon esprit. - Comment allons-nous faire pour choisir ? Demande Boeuf Assoiffé. (...)
Je revois les visages d'Aube Grise et Brin d'Herbe, les chassent de mon esprit et fixe la piste qui file devant nous à travers la plaine balayée par le vent. Parfois, au loin, on aperçoit des bois d'arbusteset dejeunes buissons. Nous restons silencieux un long moment. Au bout d'un temps, la piste s'efface, mais le chemin du Trône d'Orage nous est familier, aussi nous contentons-nous de surveiller les plantes dans l'herbe encore trempée de pluie du petit matin. Quand nous apercevons un arbrisseau couvert de feuilles blancheset defleurs aux pétales transparents comme du verre, c'est le signe qu'une faille n'est pas éloignée et nous nous en éloignons presque instinctivement, sans un mot. (...)
Je ne peux pas lui en vouloir d'ailleurs, lors de certaines nuits d'hivers calmes et interminables, c'est même franchement utile. - Dans les chansons, on dit que c'est un monde de merveilleet deterreur, où la pluie tombait à volonté sur vos champs... Boeuf éructe une insanité, il n'y croit pas. (...)
Nous traversons le bois entourant le Trône d'orage : C'est un lieu brumeux, dont de nombreux arbres sont morts mais où survivent aussi des géants centenaires sur lesquels perchent des familles entières de corbeauxet decorneilles qui croassent en nous voyant passer sur la route pavée de pierreet dejade et jalonnée de dragons de jade bleu. La route est plus facile à parcourir, aussi à notre rythme, nous avançons rapidement, comme aspiré dans un rêve étrange, dans un de ces cauchemars qui ne veut pas dire son nom et qui vous laissent un goût d'inquiétude toute la journée du lendemain. (...)
- Reste à l'intérieur. Elle m'obéit et disparaît. Devant l'entrée, deux énormes dragons de pierre griseet dejade monte la garde à l'entrée, dressés comme des cobras sur le point d‘attaquer. Leurs yeux sont des boules d'éclairs bourdonnantes, et parfois, un éclair parcours leurs corps dans un crépitement nerveux. (...)
Puis les regards se sont tournés vers Caillou : Il avait enfreint une règle tacite dans le village, il le savait. Il n'avait plus rien à dire,et detoute façon, après ça, plus personne dans le village ne l'aurait écouté. Les autres anciens l'ont vite compris. (...)
J'écoute leurs discussions, leur feu craquer et sent l'odeur de la nourriture envahir le site comme une présence invisible et séductrice. Ils parlent de moi, de Boeuf,et deceux que nous avons tués. Leurs voix sont pleines de vengeances, mais teintées de peur. La Princesse Bleue reste silencieuse, et nul ne lui adresse la parole. (...)
J'aperçois des boules de buissons séchés qui roulent dans ma direction et me dépassent en sens inverses. Au loin, mon esprit fiévreux entend les rires et les voix d'Aube Griseet deBrin d'Herbe. Plus je m'approche du village, plus mon corps me ralentit. Mon épaule n'est plus qu'une douleur sourde, mais mon flanc me donne l'impression de se déchirer après chaque mouvement de ma hanche. (...)
Mon esprit ne tarde pas à suivre. Je suis vivant. J'aurais dû mourir. Cahots. Hennissements de cheval. Bêlements de moutonet dechèvres me parviennent, assourdis. Je respire un air chaud empli de l'odeur du cuir, de laineet defourrure dans lequel je suis emmitouflé comme dans un cocon. La douleur est là, la fièvre aussi, la plupart du temps aussi assourdies que le son, mais qui carillonnent lorsque le chariot qui me transporte tressaute sur le chemin. (...)
Les Shamans et les sorciers sont tous les mêmes. Une fois qu'ils commencent à parler de destinée, d'espritet depacte, il n'y a plus rien à rajouter. Je me cale dans ma couche. Hakka à l'air satisfait, Jaï méfiant et Mahe nous contemple tous. (...)
Tandis que des hommes et des enfants montent de petits chevaux et des chiens, mettant en bon ordre des troupeaux massifs de moutonset dechèvres. L'un d'eux me jette un regard méprisant. Je marche un peu, mais la tête me tourne rapidement. (...)
Le soleil est tombé puis a émergé à nouveau depuis mon combat avec le Héraut, il l'a fait à nouveau lorsque j'ai atteint ce petit bois de bouleauxet debuissons chiches. Je suis un Anathème. Pourquoi ? Si seulement c'était arrivé au Trône de glace ! (...)
Finalement la pluie cesse, le ciel s'éclaire lentement et je reprends mon chemin, ce n'est que lorsque je sors du bois que je constate l'ampleur de ma bêtise. Devant moi, sur la plaine, une épaisse couche de neigeet deverglas s'étend, longeant une faille balafrant la terre. Les neiges éternelles précédant la faille, domaine du Beau Peuple, elles persistent, qu'elle que soit la température ou le climat. (...)
Au bout d'un court moment je sens le pouvoir qui sature presque les lieux, canalisé par les courants froids, par la plaine et les vents, par la faille, il nourrit le mien, comme une source dont l'eau finit par nourrir l'océan qui semble se cacher au fond de moi. Puis soudain, les parois de glace se couvrent d'inscriptions dans la langue ancienneet dedessins étranges aux motifs hypnotiques. Je ne les comprends pas mais j'ai assez entendu d'histoire pour savoir qu'ils annoncent rarement de bonne nouvelle. (...)
J'en lâche un, ramène l'autre vers moi et mon crâne vient fracasser le sien dans une explosion d'oret desanglante blancheur. Ce qui reste de son corps n'est pas encore retomber à terre lorsque je me penche en arrière pour infliger le même traitement au dernier qui tentait de m'attaquer de dos. (...)
Ses cheveux sont du blanc éclatant de la première neige. Ses vêtements ne sont qu'une mosaïque d'armure de glace, de lacets de givreet detissus de neige sans fin à la complexité démentielle, garnie de joyaux bleus et blancs, parfaitement ciselés et incrustés dans ses vêtements même. (...)
- Parce que je suis comme toi, je suis un exilé, un réprouvé, et que je connais la souffrance que cela cause que d'être seul, d'avoir l'univers pour ennemiet den'avoir personne avec qui partager quoi que ce soit. Regarde moi, dit-il, Je suis un diplomate sans accord à discuter, un roi sans royaume, un mot sans signification, comprend-tu ? (...)
Je m'avance vers l'endroit, m'arrête devant le seuil, l'impression de faire une bêtise est poisseuse, rampante dans mon esprit. - Excuse-moi, dit la créature revêtue de neigeet deglace, mais pourrais-tu entrer ? J'aimerais éviter les courants d'air ! Le ton est badin et j'ai du mal à ne pas rire de la plaisanterie. (...)
L'endroit est grand et majestueux, des murs s'élèvent à trois dizaines de mètres, ornés de sculptures lascives, d'inscriptionset dedessins à la fois incompréhensibles et beaux. Il ne s'y trouve aucune source de lumière mais néanmoins cette dernière y est omniprésente. (...)
J'essaye d'imaginer. En vain. - Tu as construit cela seul ? - Oui, invoqué à partir de rêve de noblesse, de froid,et dejeux de neige infantile, cela parait impossible, mais pendant huit siècle, on a du temps a tuer, crois-moi ! (...)
Ma chambre est une pièce de glace bleue, et mon lit un bain de neige moelleuse et tendre comme du duvet d'oie et tiède comme le sein d'une femme. Malgré la nervosité, je m'y endors comme un enfant. Je rêve de froid, de vent hurleur, de douleuret dechoses réelles. A mon réveil, la faim est là, en embuscade. Une odeur de nourriture aussi, et Aewyll. (...)
- Je ne suis pas sûr... Je sors de l'eau. - Je le suis, tu ne risque rien, faits à partir d'élégance, d'ostentationet defatuité, ils t'iront à merveille ! Il fait un geste, et les vêtements se décomposent pour se jeter sur moi et me vêtir d'or, d'ombre et d'argent, un autre éclair, et ma barbe naissante disparaît dans le néant, je me retrouve rasé de près. (...)
Je t'avais dit que je sais reconnaître un mensonge, eh bien fie toi à moi ! Je connais les mensonges de la dynastieet deceux qui ont reçu le don des Dragons. - Les Sang-dragon, pourquoi ne t'ont-ils pas tué ? - Parce qu'ils n'ont pas réussi, mon ami, et ce n'est pas faute d'essayer, crois-moi ! (...)
Il comprend la question de son intuition aiguisée comme une guillotine neuve. « Oui, une Exaltation, c'est à la fois le nom de la part de l'âme qui transporte ton pouvoir,et dela transformation qui te permet d'être ce que tu es aujourd'hui. Elle est inaltérable, indestructible et donnée par le Soleil, qui nous éblouit de sa lumière chaque fois que ton pouvoir se manifeste massivement, au travers de l'Essence. (...)
Nous sortons d'un corridor immaculé, passons au-dessus d'un pont de glace magnifique, fait de dentelle de glace qui traverse une salle de grotte emplie de stalagmiteset destalactites aiguisés comme des rasoirs, renvoyant des arcs en ciels de lumières prismatiques. Le spectacle est grandiose mais je tente de me concentrer sur Lewellyn. (...)
« Je l'ai appris des histoires, des rumeurs, portées par les rares prisonniers que nous faisions, mais quelles histoires ! Des histoires de pouvoirset degrâce infinie ! De victoire sur nous, les enfants du chaoset dela folie ! Enfin, ce combat pouvait valoir la peine d'être mené ! » Les murmures s'accentuent, s'accompagnent de gémissement. (...)
» Le soleil bleu disparut. Retour des ténèbres. - Et maintenant ? Sa gorge émit un son étrange, mélange de sanglotet degloussement. - Maintenant... Je veux revenir dans mon monde... mais pas comme un chien errant trempé de la banalité du monde, je veux revenir comme un roi, comme un dieu, habillé de gloireet depouvoir, pour leur prouver qu'ils avaient tort ! Pour leur prouver que j'avais raison ! Et détruire ce monde de formeet deraison infecte qui nous a fait tout perdre à toi et à moi ! Ma gorge se noue. Pluie de lumière bleue qui illumine la pièce lorsque la porte de ma chambre s'ouvre. (...)
Les paroles de Lewellyn dansent dans mon esprit, des paroles démentes mais qui possèdent un sens, et j'ignore si c'est parce qu'elles en ont effectivement un ou si c'est parce que je deviens fou, mais toute mon âme me hurle de sortir d'ici, de me dépêtrer de ce piège de beautéet defolie. Je tente d'être discret. J'essaie de relâcher le fleuve de pouvoir dans mes gestes comme lorsque je me bats, mais rien ne vient, et mes pas me donnent l'impression d'être assourdissants sur le sol de glace bleue, translucide et ornementée. (...)
Elle sourit de la même façon cruelle que j'ai vue chez certaines petites filles qui faisaient avaler des insectes à Brin d'Herbe. L'envie de la tueret del'aimer me taraude, je la réprime et m'approche du rocher. A ce moment, je sens les poils de mon corps se hérisser, une odeur familière ainsi qu'un souffle de vent qui ne me sont pas inconnus viennent effleurer ma conscience. (...)
Je m'en moque tant j'ai froid et je suis couvert de gel, des morceaux de glaces retombent partout autour de moi tandis qu'un brouillard givrant se referme sur moi. Soudain, dans un concert de rugissement, une avalanche de griffeset decrocs, de fauves blancs, déferle sur moi. Elle est brisée par une explosion d'éclairs. Les fauves les plus proches explosent sous le choc, les suivants grillent littéralement, et les autres sont éparpillés en arrières comme autant de feuilles mortes balayées par le vent. (...)
Aewyll reprend conscience avec la grimace d'une petite fille, gémit lascivement, d'une façon qui me perturbe tant et si bien que mes instincts virils s'éveillent instantanément, et se rendorment presque aussitôt, lorsque son corps tout entier semble se tordre étrangement lorsque sa perfection se revêt de ses amalgames de personnalités, de gestes familierset deregards qui forment la somme de ce qu'elle est. A mes coté, la Princesse Bleue à l'air aussi déconcertée que moi. (...)
La voix de la Princesse Bleue s'échappe de la bouche d'Aewyll. - Je te promets de veiller sur elle,et dene pas lever la main sur elle tant qu'elle ne me nuira pas d'aucune manière. - C'est tout ce que je voulais, dis-je. (...)
Le souvenir de mon lopin de terre boueux m'étreint, et les journées (y) passées aux champs en compagnie de mon filset dema femme me reviennent. J'étouffe une bouffée de nostalgie, frotte mes yeux humides et continue à ramper. (...)
J'entends les sont produits par une paire de gardes, des voix d'hommes, discutant de semailles, de femmeset debêtes, des conversation de paysans qui viennent, et surtout s'en vont. Il y a cinq ans, il y eut une altercation entre leurs village et le nôtre, concernant un pauvre gamin de chez nous, qui fut prit chez eux tout seul et lynché pour avoir volé un mouton. (...)
Lorsque les chiens m'atteignent, tout ce que les sentinelles voient et entendent, c'est quelques remous dans le champ, une série de grognements et d'aboiements suivis de jappements plaintifs et d'impacts sourds, et l'instant d'après, une pauvre bête qui sort du champ, revenant vers eux en clopinant et jappant douloureusement. Ils décident d'arrêter la poursuiteet dene pas pousser leur chance. Ils ont raison. Je mange le chien en premier. Un des mastiffs qui est mort dans le champ et dont j'ai emporté le cadavre. (...)
Deux jours passent ainsi, je dors comme je peux. L'été commence sérieusement, et le jour, il est chaud, sec, peuplé de moucheset demoustiques, tandis qu'il est humide, spongieux et pluvieux la nuit. C'est un de ces étés malades, comme on les appelle dans la région, parce qu'ils charrient souvent leurs lots d'épidémies et ruinent à coup sur les récoltes. (...)
Je secoue la tête pour chasser cette pensée. Le vent emporte mes larmes qui menacent de déborder. Je grimpe les pentes de terreet deroche retournée devant moi, et arrivé au sommet, je constate que l'attaque du Seigneurs des Hauts Vents m'a plus avantagée que lui. (...)
Les corbeaux se sont envolés, évanouis. Derrière moi, dans la brume brunâtre, je devine de nouvelles collineset denouveaux vallons, creusés par les fureurs élémentaires et englouties dans le brouillard. L'air est empli de poussière, de colèreet defureur. A l'affût de l'attaque suivante, j'hésite à m'endormir, le pouvoir me soutient aisément, et je sens que je pourrais marcher encore deux bonnes journées avant de m'effondrer, mais je n'ai pas encore rencontré le Seigneur des Hauts Vents en personne. (...)
Je cherche un abri rapidement sous la pluie de coup, je bondis et je cours, mes recherches rendues d'autant plus ardues à cause des conditionset dela visibilité réduite pratiquement à néant. Finalement, sans trop savoir comment, je me retrouve sous une énorme roche, la grêle retentissant, explosant en minuscule éclat de glace sur la pierre au-dessus de ma tête. (...)
Je parcours les cinquante mètres de démence électrique au travers duquel le Trône d'Orage m'apparaît comme un fantastique monstre de jade bleuet depierre grise dont les yeux de verre froid sont fixés sur moi, ces treize tours tendues vers le ciel. (...)
Arrivé à moins de dix mètres, je bondis sur un tronc d'arbre en ruine, ricoche vers un arbre tout proche pour gagner encore un peu de hauteur, fais exploser l'essence dans chacun de mes gestes pour atteindre l'arbre suivant, qui explose sous l'impact quand je prend l'élan pour franchir la muraille de pierreet dejade du Trône d'Orage, me projetant de toute mes forces vers la muraille... L'air hurle, rugit sur mon passage. (...)
Je pourrais être impitoyable, lui briser la nuque sans même y penser, mais le visage de Brin d'Herbe se superpose au sien, et j'entends l'arrivée bruyante des Gardes Tonnerres, annoncés par les cliquetis fébriles de leurs armureset deleurs armes, le bruit des gouttes d'eau qui font résonner leurs heaumes comme des cloches et le martèlement de leur pas qui résonne dans la cour. (...)
Rien ne m'y arrête, rien ne vient, même si j'entends dehors le glas qui jadis annonçait notre reniement et notre mise à mort. Il retentit, encore et encore, sur un rythme paniquéet dedétresse. J'aime ça. Les murs intérieurs du Trône d'orage sont étranges : faits de pierre bleue, lisse, comme si l'endroit avait été taillé dans un seul rocher. (...)
De dépit, je crache par terre et prend le couloir de droite, me fiant à mon sens de l'orientation. Après cinq minutes, je maudits ce dernier. L'endroit est un véritable labyrinthe de de couloirset depièces, admirablement chauffé et entretenu, et visiblement bâti pour perdre rapidement toute personne ignorant la configuration des lieux, un véritable petit monde parallèle au sein même du Trône d'Orage. (...)
Finalement, c'est mon flair de paysan, de crève-la-faim endurci qui me remet dans le bon chemin lorsque des odeurs de nourriture viennent caresser mes narines : je les suis comme un loup affamé et j'aboutis dans une salle à manger, jouxtant une cuisine, au milieu de laquelle, se tient sur une bonne vieille table en bois, trône d'un poulet rôti encore chaud, entouré de légumeset depetites patates fumantes, siégeant comme d'éphémères joyaux comestibles abandonnés à ma rapacité. (...)
Je suis tant recouvert d'huile que je me transforme en torche, et si le feu rougit à peine ma peau, sa morsure est douloureuse, brûlante et sans fin. Je tousse, je brûle, je crie de rageet dedouleur, mon pouvoir se retourne contre moi, transforme cet instant en une agonie sans fin, et j'en suis à me demander ce qui me tuera le premier, le feu ou le manque d'air, lorsque je m'aperçois que l'huile, à force de se consumer, perd de sa capacité de glissement. (...)
Je me retourne vers lui, mon anima l'aveugle et il lève les mains autant pour se protéger de la lumièreet demoi que pour se rendre. Visiblement courageux, il trouve la force d'ouvrir la bouche pour faire autre chose que hurler. (...)
A chaque pas, la chose qui me dévore les tripes s'anime, hurle silencieusement comme un fauve étrange, lorsque je contemple le luxe de cette habitation, et que je pense aux vies misérables, emplies d'amertumeset devicissitudes que nous avons menées ma famille, mon village et moi. D'autres questions surgissent dans mon esprit comme à chaque coin de couloir, des questions sans réponses que j'étouffe et réprime pour garder l'esprit clair, concentré sur le danger, la tempête d'un genre différent que le Seigneur des Hauts Vents s'apprête à déchaîner sur moi. Une tempête de lames, de sanget defureur. Je peux toujours entendre le vacarme, grondant par-dessus le bruit net de mes pas dans le Trône d'Orage, des cris de guerre dans la langue du nord, dans la langue de la plaine et celle des rivières. (...)
J'aperçois un mécanisme sur la vitre, et un sourire sauvage traverse mon visage. Je bondis, m'accroche d'une main au rebord intérieur de la baie vitréeet del'autre, ouvre la fenêtre géante. Le pouvoir court toujours dans mon corps et je dois faire très attention pour ne pas démolir la vitre malgré moi tandis que les bruits de pas se rapprochent rapidement. (...)
La surprise joue, mais pas autant que j'espérais. J'atterris dans la salle dans une pluie de lumière solaireet deflocons de verre scintillant. Les gardes restent interdits. Je me réceptionne, un genou à terre. (...)
Ses yeux deviennent une des tigres de foudres, qui courent et bondissent sur ses avants bras tendu vers moi, se précipitant sur moi dans un craquement assourdissant. J'envoie le pouvoir dans mon corps, à la rencontre de leurs crocset deleurs griffes. Impact. L'univers devient blanc et lumineux, empli d'une odeur étrange. Tout le bâtiment semble vibrer sous le choc lorsque je suis projeté contre le mur. (...)
Je retombe sur le sol en avant, tel un animal, des étincelles parcourant encore mon corps, et je retrouve tout l'arsenal de gestes meurtriers renfermés par le pouvoir. C'est une bonne chose. Les gardes se remettent de leurs surprises. Ils forment un mur d'acieret dechair entre lui et moi. L'un des gardes crie un ordre en langue du nord, je le repère par réflexe et le met soudainement en tête de liste des gens à tuer. (...)
Le Seigneur des Hauts Vents ne profère pas un mot, à peine pose-t-il ses mains sur les épaules de deux de ces hommes. Je hausse un sourcil, et soudain, me souviens de la Princesse Bleue, de sa mainet dela force qu'elle m'a transmise par ce geste. Je dois faire vit et fort. L'instant d'après, le monde entier autour de moi devient flou lorsque je me rue sur le mur de défenseurs. (...)
Je n'ai pas le temps de terminer ma phrase, l'instant d'après, l'anima du Sang-dragon explose dans une fureur de vent polaire, de cristaux de neige glaceet delumière d'azur. Un millier de shrapnels de glace fusent vers moi dans une explosion de lumière blanche, instinctivement, je pare l'essentiel du coup d'un geste vif et ample de la main, qui crée une onde de choc, bref mur d'air invisible devant moi sur lequel viennent s'écraser l'averses de glaces, et je le charge. (...)
Il lâche un râle de douleur. Je crois l'entendre dire « stop » ou « arrête. » d'une voix emplie de pouvoir, de douleuret desang. Je l'ignore. Je pleure comme un enfant. - DIS MOI POURQUOI ? Il ne dit rien, il sourit, vaguement. (...)
« Vous l'avez tué... par les dieux, vous l'avez tué » répète-t-elle. Cette voix, chargée de tristesseet demystère me percute, me ramène au monde. Je la connais. Brume ! Des femmes la poussent vers moi. (...)
Je ris et je pleure en même temps, j'en oublie la douleur et la prend dans mes bras, la serre contre moi, elle gémit de douleuret depeur : « Pitié ! » Je murmure, heureux, incrédule. - Tu es vivante ! Par tous les dieux ! » « Pitié, Seigneur du soleil ! » Elle a peur et comment pourrait-il en être autrement ? : Je suis nimbé de sanget delumière, le cadavre d'un demi-dieu à mes pieds. Je tente de la calmer, mais je suis trop heureux de la voir en vie, de voir que je n'ai pas juste répandu la mort tout autour de moi. (...)
Je descends de cheval et commence à grimper le long de la pente trop abrupte pour lui. Brume me suit tant bien que mal. Près de la grotte, je perçois une odeur de nourriture, de viandeet delégume bouillis. J'en salive presque. J'entre prudemment. Violer le sanctuaire d'un Shaman est un tabou, mais j'en ai tellement violé depuis ces derniers temps que je m'en rappelle uniquement lorsque je suis à l'intérieur et qu'une ombre se précipite sur moi en hurlant, brandissant une épée de fer froid. (...)
Il se tait. - Tu as de la chance, shaman. J'en ai assez de tuer, j'en ai assez du destin, des prophétieset dela mort. Je ne suis pas le prisonnier du destin, je ne lui obéis pas, je suis mon seul maître ! (...)